Épisode 1 : Des charpentes et des bagues
18 mai 2009Épisode 3 : Gang-Hu le maraîcher
9 novembre 201910:00, j’ai rendez-vous avec Fissa pour faire la clôture annuelle de mon activité.
Il est 9:25 quand je ferme la porte du garage. Je monte sur ma trottinette pour rejoindre l’arrêt de tramway. 3 minutes et je saute dans la ligne deux pour seulement quatre arrêts, jusqu’aux Sabines. Il fait frais et finalement, paresseux, je décide de prolonger mon voyage en tramway jusqu’à destination.
Je parcours comme une fusée les cinq-cents mètres entre la station et le bâtiment de Coalliance, la coopérative qui héberge mon activité de consultant technologique : je fais des sites internet.
J’accroche ma trottinette sur la grille, j’accroche le casque sur la trottinette, j’oublie les clés sur le cadenas, j’oublie de vérifier mentalement que j’ai la clé du cadenas, je monte les marches jusqu’au premier étage. Ma journée commence.
Au même instant, il est 17:01 à 9122 km de là, en Chine. Joh-Joh la chauve souris meurt dans une grange. D’un bruit léger elle est tombée de la poutre, en vrac dans le sac de fruits récoltés la veille. Cela faisait des jours qu’elle se sentait patraque. Son petit cœur et d’autres de ses petits organes ont lâché. Principalement ses petits poumons.
Joh-Joh est juste tombé au mauvais endroit, pile au bon moment pour assurer une catastrophe globale. Elle n’en saura rien. La veille pourtant, quand elle est entrée dans la grange, elle ne se doutait pas qu’elle y serait enfermée. Elle avait coutume d’y faire des pauses, parfois des nuits. Cette grange n’était jamais fermée. Il y avait des espaces entre les tuiles. C’était exigu, compliqué, mais ça passait. Juste, mais ça passait. En tant que chauve-souris, on pouvait techniquement sortir de cette grange.
Mais au moment de de ces réflexions de chauve-souris, Joh-Joh encaissait les effets profonds d’un bon gros virus. Un improbable, un hasardeux, un sale. Il avait des effets inédits sur son petit métabolisme, et il brouillait à peu près tous ses systèmes opérationnels de chauve-souris.
Désorientée, le radar en pagaille, l’odorat désarticulé, la gorge déracinée, les poumons à bout, Joh-Joh s’agrippa avec maladresse à la poutre et se mit à haleter de plus en plus fort. Sa petite agonie dura la nuit. Des heures passèrent avec, au fil du temps, de moins en moins de ferveur, de moins en moins d’enthousiasme. Elle suffoquait.
Et à 17:05, le dernier râle de la petite chauve-souris ne trouble pas les mouches qui sont prêtes au festin de ses organes liquéfiés, qui dégoulinent sur les fruits, par la bouche et d’autres orifices, au hasard.
Joh-Joh finit dans un tableau lamentable, vaincue par une maladie virale, à seulement 18 mois d’une existence pas toujours évidente, mais globalement au top.
Elle tombe donc presque sans bruit dans le grand panier, les mouches prient rapidement pour elle, puis elles commencent leur festin.
Le lendemain, ces fruits passeront dans suffisamment de mains sur le marché de Wuhan.
… et oh, oui, les clés sont toujours sur le cadenas quand je pars. L’entretien s’est bien passé. Les perspectives sont optimistes. Le monde va très vite. La vie est normale. Je rejoins les collègues au CoolWorking où je travaille.